Par Benoît Hervieu
Reporters sans frontières
Les inquiétudes exprimées par Reporters sans frontières au moment de la réintégration du Honduras à l’organisation des États américains (OEA) (http://fr.rsf.org/honduras-inquietude-sur-l-avenir-des-07-06-2011,40407.html) restent plus que jamais d’actualité au vu de deux nouvelles affaires de presse politiquement sensibles. Elles concernent deux journalistes de télévision - Mario Castro Rodríguez et Edgardo Antonio Escoto Amador - connus pour leur opposition au coup d’État du 28 juin 2009 et détenteurs d’informations en lien avec celui-ci.
“L’Accord de Carthagène est mort-né et la réconciliation nationale impossible si la censure, la répression et l’assassinat continuent de répondre à la nécessaire information sur le coup d’État et ses conséquences, jusqu’à aujourd’hui. La protection - relative - dont bénéficie Mario Castro Rodríguez, et qui doit être accordée à Edgardo Antonio Escoto Amador, est à la fois nécessaire et insuffisante. Ces affaires doivent susciter des enquêtes approfondies, dussent-elles mettre en cause de hauts responsables de l’armée et de la police, en activité ou à la retraite. L’OEA et la communauté internationale doivent rappeler d’urgence les autorités honduriennes à leur devoir de lutte contre l’impunité. Nous regrettons à cet égard le report de la visite – initialement prévue du 27 septembre au 4 octobre - de Margaret Sekaggya, rapporteur spécial de l’Onu pour la situation des droits de défenseurs des droits de l’homme. Ce rendez-vous doit avoir lieu avant la fin de l’année”, a déclaré Reporters sans frontières.
Cent fois menacé
Directeur du programme "El látigo contra la corrupción" (“le fouet contre la corruption”) pour la chaîne Globo TV à Tegucigalpa, Mario Castro Rodríguez a fait état d’une centaine de messages l’avertissant de sa mort prochaine depuis le 8 septembre dernier, selon le Comité pour la libre expression (C-Libre), organisation hondurienne partenaire de Reporters sans frontières. Bien que bénéficiaire, avec son frère et collègue Edgardo, de mesures préventives sollicitées par la Commission interaméricaine des droits de l’homme (CIDH) auprès de l’État hondurien, le journaliste craint pour sa sécurité et même sa vie.
Mario Castro est un sympathisant du Front élargi de Résistance (FARP), le parti fondé par l’ancien président victime du coup d’État, Manuel Zelaya, depuis son retour au pays en mai dernier. Radio Globo et Globo TV ont été fortement exposés à la répression et à la censure dans les mois qui ont suivi le putsch, en raison de leur proximité avec l’ancien chef de l’État.
"Il serait magnifique qu’on vous bute, bandes de porcs", "Il vaut mieux qu’on vous descende tous", "Vieux vaurien, qu’on vous tue tous", "Ha, ha, ha, on tue les idiots, connard", sont des exemples de messages répétés en boucle et envoyés au journaliste depuis différents numéros. Certains font allusion aux mauvaises relations de l’intéressé avec la police. Mario Castro a également enduré, à plusieurs reprises, les filatures par des individus cagoulés et fortement armés circulant dans un véhicule blanc sans plaque d’immatriculation et aux vitres teintées. Attendu à chaque fois en début de nuit à la sortie du siège de Globo TV, le journaliste a été suivi jusqu’à son domicile.
Le programme conduit par les frères Mario et Edgardo Castro, lancé en mai 2010, s’est notamment distingué par ses dénonciations des actes de corruption commis sous le gouvernement, issu du coup d’État, de Roberto Micheletti (juin 2009-janvier 2010). Les deux frères traitent d’autres sujets sensibles comme la militarisation de la région de l’Aguán (Centre-Nord), source de très graves violations des droits de l’homme contre les communautés et mouvements paysans. L’assassinat, le 8 septembre dernier, d’un autre adhérent du FARP, Medardo Flores, de la station Radio Uno à San Pedro Sula, a porté à quinze le nombre de journalistes tués au Honduras en dix-huit mois. Tous ces drames demeurent à ce jour impunis.
Informations compromettantes
Coordinateur du programme “Thèmes et débats” pour la chaîne Canal 13 à Tegucigalpa, Edgardo Antonio Escoto Amador vit, lui aussi, sous la menace. Dans la nuit du 22 septembre dernier, le journaliste a été intercepté près de chez lui par deux individus circulant à moto. Armes de gros calibre au poing, les assaillants lui ont dérobé un ordinateur portable contenant, a-t-il expliqué à C-Libre, “de l’information confidentielle relative au coup d’État qui m’a été transmise, ainsi qu’à d’autres journalistes, il y a plusieurs mois et qui a causé l’irritation du général en retraite Miguel Ángel García Padgett”. Le journaliste a précisé faire l’objet de menaces et de filatures régulières après avoir refusé de céder aux pressions d’émissaires se réclamant de l’ancien militaire.
Miguel Ángel García Padgett compte parmi les quatre généraux à la manœuvre lors du coup d’État du 28 juin 2009. Son collègue Romeo Vásquez Velásquez a, quant à lui, été nommé à la tête de l’entreprise nationale de télécommunications Hondutel, le 8 mars 2010, au moment de son départ de l’armée. Edgardo Antonio Escoto Amador avait lui-même subi plusieurs arrestations violentes à l’époque du coup d’État.