lundi 26 octobre 2009

Honduras, la souveraineté populaire

Que s’est-il réellement passé dans la nuit du 27 au 28 juin au domicile du président Zelaya ? De retour, trois mois plus tard, au pays, il met à mal les forces putschistes. Une opinion de Jorge Magasich, professeur d'histoire de l'Amérique latine à l'IHECS.

Le retour du président Manuel Zelaya dans son pays le 21 septembre, où il s’est réfugié à l’ambassade du Brésil, met en difficulté les putschistes qui se sont emparés du pouvoir le 28 juin, et a ouvert des perspectives de rétablissement de l’Etat de droit. Cependant, le gouvernement issu du coup d’Etat est le seul qui soit parvenu à rester au pouvoir en Amérique latine depuis le renversement de Jean-Bertrand Aristide, en Haïti, en 1991.
Elu fin 2005, Manuel Zelaya a pris quelques décisions urgentes pour endiguer la débâcle du pays, comme faciliter le crédit aux PME, réglementer l’exploitation du bois et légaliser la "pilule du lendemain". Par ailleurs, il a entamé quatre orientations majeures :
1) rapprochement avec l’Alliance bolivarienne (Bolivie, Cuba, Equateur, Nicaragua, Venezuela) qui ouvre l’accès aux médicaments cubains, à ses écoles de médecine et méthodes d’alphabétisation; et qui, surtout, permet au Honduras le payement différé de 17 à 25 ans du pétrole vénézuélien, à un intérêt annuel de 1 % à 2 % et remboursement possible en produits locaux;
2) augmentation de 60 % du salaire minimal, le portant à 280 U$.
3) envisage l’utilisation commerciale de l’aéroport de la base militaire nord-américaine, le meilleur du pays;
4) démarches en vue de doter le pays d’une constitution plus démocratique, comme l’ont fait sept pays latino-américains depuis 1979.

L’opposition acharnée des milieux d’affaires entraîne la rupture de Zelaya avec d’autres dirigeants libéraux, ce qui lui fait perdre la majorité parlementaire. Par contre, le Président bénéficie d’un large soutien populaire, exprimé par une activité inédite des mouvements sociaux.

L’actuelle Constitution a été rédigée en 1982, sous la dictature du généralPolicarpo Paz, quand Washington érigeait la base militaire au cœur de la guerre contre le Nicaragua. Il s’agit d’une charte figée; toute réforme requiert des majorités impossibles et certains de ces articles "ne pourront être modifiés en aucune circonstance", même s’il y a consensus. En outre, elle prévoit la désignation des membres de la Cour suprême par le Parlement, ce qui favorise des quotas politiques (8 pour le Parti libéral, 7 pour le Parti national) et des juges inféodés à la majorité parlementaire. La Cour est ainsi devenue le fer de lance de l’opposition conservatrice, frappant souvent d’illégalité les initiatives de l’Exécutif.
Si la Constitution rend irréalisable un referendum, elle n’interdit toutefois pas les consultations, d’où la décision de Zelaya d’en organiser une, non contraignante, sur l’opportunité de convoquer une assemblée constituante, idée rejetée sans raison par la Cour suprême, mais soutenue par 400 000 signatures. Le 28 juin, les Honduriens devaient répondre à la question : "Etes-vous d’accord pour que lors des élections 2009 une quatrième urne soit installée pour permettre au peuple de décider de la convocation d’une Assemblée constituante ?" Ce procédé a un précédent dans la région : en 1990, lors des élections en Colombie, des étudiants avaient appelé à ajouter un bulletin pour la convocation d’une Assemblée constituante. Le succès de l’initiative incita le président de l’époque à organiser un référendum au cours duquel 87 % des Colombiens votèrent "oui", point de départ de l’actuelle Constitution.

Suivant un scénario - hélas! - connu, la nuit du 27 au 28 juin, des militaires prennent d’assaut le domicile du Président et le poussent dans un avion. Le Parlement "accepte" la démission et élit M. Micheletti. Les conjurés diffusent ensuite leur version : Zelaya voulait organiser un référendum contre la Constitution pour se faire réélire; la Cour suprême l’a destitué et l’armée l’a arrêté et expulsé du pays.

En réalité, une telle "destitution" est impossible dans un Etat de droit. Même cette Constitution rigide ne donne pas de telles prérogatives aux tribunaux et accorde des immunités au président. Une délégation de juristes de la FIDH a constaté que " l’ordre d’arrestation " n’a été connu que 24h après le putsch. Et la lettre de démission présidentielle s’est avérée fausse. Ces deux textes sont, par ailleurs, contradictoires : pourquoi avoir accepté la démission d’un président destitué ? Selon Leticia Salomón, chercheur à l’Université du Honduras, le putsch a été préparé et financé par des milieux patronaux, notamment par l’ex-président M. Facussé et par M. Canahuati, propriétaire de deux journaux et de plusieurs TV.
Quelle est la politique de Washington sur ce dossier ? Il est aujourd’hui établi que l’administration Bush a participé à la tentative de coup d’Etat au Venezuela en 2002. Six ans plus tard, en 2008, la Bolivie a expulsé l’ambassadeur des Etats-Unis, M. Golberg (ex-chef de mission au Kosovo), car celui-ci se réunissait régulièrement avec les gouverneurs qui préparaient un coup d’Etat séparatiste.
Sous Obama, la situation reste inquiétante. En avril dernier, l’avion d'Air-France Paris-Mexico s’est vu interdire le survol des Etats-Unis et a été forcé d’atterrir en Martinique, en raison de la présence à bord de M. Calvo, un collaborateur du "Monde Diplomatique" d’origine colombienne, et en août, un autre vol connaissait le même sort, parce qu’à son bord, se trouvait le juriste belge M. Dupret, conseiller de la gauche au Parlement européen. S’il y a des hauts responsables qui s’acharnent à criminaliser les idées, il y en a sans doute d’autres qui, malgré la condamnation du putsch de Tegucigalpa par M. Obama, continuent à pratiquer la politique séculaire du "gros bâton".
Actuellement, la Maison-Blanche semble encourager un accord qui consisterait à rétablir Zelaya, mais avec des pouvoirs réduits et sans assemblée constituante, ce qui rendrait ce retour comparable à celui de Jean-Bertrand Aristide, en Haïti, en 1994.
Sur place, le Front de résistance au coup d’Etat surprend par son ampleur et persévérance : depuis 120 jours, le syndicat des enseignants, le mouvement paysan Via campesina, des organisations indigènes et de femmes développent une activité constante, malgré les mesures répressives et les dizaines de morts.
Par ailleurs, le coup d’Etat a rencontré une large condamnation internationale, même si les Etats-Unis et l’Europe n’ont pas dénoncé clairement les "élections" que les putschistes préparent pour le 29 novembre (comme l’a fait l’Onu), et qu’une bonne partie de l’aide se poursuit. La Belgique, quant à elle, n’a pas encore écarté l’ambassadeur favorable aux putschistes, M. Custodio, malgré la demandeformelle du président Zelaya.
Dans une intéressante analyse, le juriste M. Garretón, ex-rapporteur de l’Onu sur le Congo, et M. Ruz constatent que le coup d’Etat hondurien présente une ressemblance étonnante avec celui du Chili en 1973 : dans les deux cas, les conjurés ont empêché le peuple de s’exprimer. Il y a 36 ans, Pinochet avait avancé son putsch pour éviter que le président Allende n’annonce la convocation à un plébiscite. Il y a trois mois, des militaires honduriens ont bloqué l’organisation d’une consultation démocratique. L’un et les autres avaient peur de l’expression de la souveraineté populaire.