20 décembre 2010
Giorgio Trucchi
Interview de François Houtart
Le Honduras se débat en pleine crise économique, sociale et politique depuis le coup d’État qui a chassé du pouvoir le président Manuel Zelaya en juin 2009. Malgré l’image de “pays pacifié et normalisé” que l’actuel gouvernement de Porfirio Lobo tente de projeter internationalement, les organisations qui intègrent la Plateforme des droits humains du Honduras continuent de dénoncer les constantes violations des droits de l’homme et ont installé une "commission de la vérité" pour éclairer les abus commis depuis du coup d’État.
François Houtart, prêtre, sociologue, membre du Conseil international du Forum social mondial est également membre de la Commission de la vérité. Dans cet entretien donné à Opera Mundi, il analyse la délicate situation que vit le Honduras. Le sociologue belge est convaincu qu’une consolidation du projet de refondation du FNRP (Front national de résistance populaire) pourrait impliquer une augmentation de la répression et que le gouvernement des États-Unis n’est pas étranger à cette situation. Selon lui, ce dernier souhaite se repositionner dans la région latinoaméricaine, le coup d’État au Honduras étant une pièce importante de cette stratégie.
GT : Dix-sept mois après le coup d’Etat au Honduras, comment voyez-vous la situation des droits de l’homme dans ce pays ?
F.H : Elle ne s’améliore pas. Elle empire même avec la difficile situation sociale et économique. Nous savons que le coup d’Etat a été mené par une oligarchie traditionnelle opposée aux processus de changements. Elle refuse de perdre ses privilèges. A présent qu’elle détient de nouveau le pouvoir et qu’elle contrôle la politique et l’économie, elle refuse toute autre avancée sociale. Tous ceux qui tentent de lutter sont vus comme des ennemis à abattre. Il ne se passe pas de nouvelle semaine sans victimes. Nous vivons encore une situation très tendue.
GT : Quel est le rôle de la Commission de la vérité dans un contexte aussi compliqué ?
FH : Les objectifs de la commission sont d’enquêter sur les violations des droits humains à partir du coup d’État, sur l’histoire de ce dernier, ses conséquences, sur qui furent les acteurs à l’origine de cet événement. Et finalement, d’enquêter sur le contexte général du pays car on ne peut comprendre ces faits sans connaître la structure sociale, économique et politique du Honduras. Tout ceci permettra d’éclairer ce qui s’est réellement passé et de montrer qui sont les véritables responsables.
GT : Récemment, le représentant du Département d’Etat nord-américain Philip J. Crowley a déclaré que “le thème des droits de l’homme n’est pas une condition préalable au retour du Honduras au sein de l’Organisation des Etats américains (OEA)”. Quelle lecture faites-vous de cette déclaration ?
FH : Cela fait partie de la logique politique des Etats-Unis. Ils ont condamné le coup d’État comme méthode mais pas comme objectif : stopper les processus de changement en cours. A présent, ils veulent légitimer l’actuel gouvernement pour poursuivre ses politiques et donner l’apparence d’une normalisation dans la région.
GT : Quel rôle a joué le coup d’Etat au Honduras dans la région ?
FH : Le Honduras était l’élément le plus fragile de l’ensemble des pays qui mènent des processus de transformation. C’est donc un avertissement à tout le continent et nous avons observé des suites dans plusieurs pays. Lorsqu’un pays refuse de s’aligner sur les politiques nord-américaines et les oligarchies locales, on observe des interventions non plus militaires comme par le passé, mais des déstabilisations qui s’appuient sur de nouvelles méthodes et instruments.
GT : La question du rôle du président Obama dans le coup d’État au Honduras est posée par certains. Qu’en pensez-vous ?
FH : Quand on observe sa politique extérieure, il ne fait pas de doute qu’il s’agit d’une continuité avec la période antérieure. Le style peut différer, pas la substance. Le cas du Honduras en fournit une claire illustration.
GT : On dit aussi que les Etats-Unis ont beaucoup de problèmes au Moyen-Orient et qu’en ce moment l’Amérique latine ne constitue pas une priorité.
FH : Le continent latino-américain conservera toujours une grande importance pour les États-Unis, le contrôler est nécessaire. Il est évident que les processus d’unité latinoaméricaine les préoccupent beaucoup. Comme les préoccupent également l’orientation de ces processus qui cherchent à envisager l’économie et la politique au delà de l’économie capitaliste et de l’économie de marché. Il s’agit, pour les Etats-Unis, d’une menace à long terme pour la continuité du système et leurs intérêts.
GT : Dans le cas du Honduras, est-ce un tel changement de système qui préoccupe le plus les États-Unis ?
FH : Pour une part, en effet. Mais le plus important est l’adhésion du Honduras à l’Alliance bolivarienne des peuples d’Amérique ( Alba). Du point de vue des Etats-Unis, il s’agissait d’un mauvais signal pour d’autres pays de la región centraméricaine et c’est pourquoi ils ont décidé d’intervenir.
GT : Le processus de formation du FNRP au Honduras est inédit dans la région. Croyez-vous que le Front pourra atteindre l’objectif de refonder le pays ?
FH : Il s’agit d’une résistance organisée par des mouvements de base et c’est quelque chose de très innovateur. Je crois qu’il pourra atteindre ses objectifs tant qu’il maintiendra l’unité de tous les secteurs et que tôt ou tard, il puisse trouver une traduction dans le champ politique pour promouvoir des réformes structurelles de l’Etat.
GT : Une montée en puissance du FNRP peut-elle impliquer davantage de répression ?
FH : Cela ne fait pas de doute. Le gouvernement actuel croit que les gens vont se lasser et que la résistance va disparaître peu à peu. Si cela ne se produit pas, comme je le crois, il va s’écrire un scénario de violence très préoccupant.
GT : Dans ce contexte, la présence d’une Commission de la vérité revêt une importance accrue ?
FH : Les travaux ont déjà commencé. Tous les membres ont parcouru le pays pour recueillir des témoignages et analyser les avancées du processus.
Source : http://operamundi.uol.com.br (original portugais) http://nicaraguaymasespanol.blogspot.com (version espagnole)
P.-S.
Traduction française : Thierry Deronne
lundi 10 janvier 2011
samedi 8 janvier 2011
Au Honduras, les uns comptent leurs dollars, les autres leurs morts
Par Hélène Roux, Le Monde Diplomatique, décembre 2010.
Le 15 novembre 2010, la région du bas Aguán au Honduras a été le
théâtre d’un massacre de plus, perpétré contre cinq paysans membres de
l’organisation paysanne Movimiento Campesino del Aguán (MCA). Les
faits se sont produits à l’aube du 15 novembre, lorsque deux cents
gardes armés à la solde de M. Miguel Facussé Barjum (1), le magnat
hondurien de la palme africaine, ont tiré avec des armes de gros
calibre sur un groupe de paysans qui venait présenter les papiers les
accréditant comme légitimes propriétaires de la finca (propriété) El
Tumbador (municipalité de Trujillo).
Ces assassinats constituent un nouvel épisode dans le conflit agraire
qui oppose de longue date le MCA aux grands entrepreneurs et
propriétaires terriens de la région : M. Facussé Barjum – président de
la société Dinant et oncle de l’ex-président libéral Carlos Flores
Facussé (1998-2002) –, M. René Morales Carazo – industriel et frère du
vice-président de la République du Nicaragua, M. Jaime Morales Carazo
–, M. Reynaldo Canales – lui aussi grand patron –, et M. Oscar Najerá
– député du parti Libéral (droite).
A la différence d’autres pays d’Amérique latine, où la culture de la
palme africaine connaît un essor très récent – lié à l’élaboration des
agro-carburants –, celle-ci est présente au Honduras depuis les années
1970. A cette époque, des réformes agraires ont en effet été promues –
souvent par des gouvernements militaires, comme au Pérou et au
Honduras – pour réduire la pression sur les latifundia (grandes
propriétés) et contrôler le mouvement paysan. La culture de la palme
constitue donc un enjeu économique important, qui explique d’une part
la force et la capacité des coopératives paysannes, et d’autre part la
convoitise des grands propriétaires et entrepreneurs de l’industrie de
transformation du précieux végétal.
Au début des années 1990, sous la présidence de M. Leonardo Callejas
(Parti national [PN], droite), se met en place la loi de modernisation
et développement du secteur agricole (2), qui modifie celle de 1962
sur la réforme agraire. Suivant la même tendance que dans le reste des
pays d’Amérique latine, la nouvelle loi privilégie la « sécurisation
de la propriété » à travers la titularisation individuelle des terres
et l’incursion croissante du secteur privé dans le financement de la
production agricole. Ce procédé – développé et promu par la Banque
mondiale – est également connu sous l’appellation trompeuse de «
réforme agraire assistée par le marché ».
La majorité des organisations paysannes du Honduras s’accorde sur le
fait que cette loi marque le début d’une accélération de la
réappropriation privée des terres anciennement attribuées à des
coopératives dans le cadre de la réforme agraire des années 1960.
Considérant cet accaparement comme illégal, les paysans partent à la
reconquête des terres. C’est dans ce contexte que le MCA voit le jour,
début mai 2000, en occupant les terres du Centre régional
d’entraînement militaire (CREM), soit plusieurs milliers d’hectares
utilisés pendant les années 1980 par les instructeurs de l’armée des
Etats-Unis pour former les combattants de la Contra nicaraguayenne.
Pour le MCA, l’objectif consiste à faire pression pour l’application
des dispositions légales établissant l’usage social de la terre et
limitant la concentration agraire.
Dans les premiers temps, la tension entre les paysans et les
propriétaires terriens est si forte que le président de la République
(l’homme d’affaires Ricardo Maduro, PN) n’a d’autre choix que
d’intervenir en personne. Le 12 octobre 2000, 1124 hectares sont
titularisés au nom des coopératives du MCA, cependant que l’Institut
national agraire (INA) entreprend des démarches pour annuler les
titres de propriété indûment attribués aux grands propriétaires.
Toutefois la victoire est de courte durée et, pendant des années, la
situation reste explosive et le harcèlement constant.
Le 12 juin 2009, un accord est pourtant signé entre le président
hondurien, M. Manuel Zelaya, et les organisations paysannes de
l’Aguán. Il établit qu’aucune expulsion ne pourra se réaliser avant
que la légalité sur les titres de propriété et les ventes de terres
n’ait été établie par les autorités compétentes. Mais le coup d’Etat
du 28 juin 2009 met fin à cette courte trêve. Le MCA, qui, comme de
nombreuses organisations populaires, a rejoint le Front national de
résistance contre le golpe (3), se retrouve une fois de plus dans la
ligne de mire.
Les attaques reprennent avec plus de vigueur au début de l’année 2010,
avec l’entrée en fonction du gouvernement de facto de M. Porfirio
Lobo, parvenu au pouvoir lors des élections organisées à l’ombre du
putsch militaire, en novembre 2009. Face à la paralysie du processus
de titularisation, le mouvement (4), qui recense désormais plus de 3
500 familles organisées en centaines de coopératives, a en effet
décidé de reprendre, le 9 décembre 2009, les occupations de terres.
Le 8 janvier, une première expulsion violente des terres nouvellement
occupées a lieu : 27 personnes, dont dix femmes, sont détenues. Le 13
janvier, trois dirigeants du MCA sont arrêtés, ce qui porte à 18 le
nombre de membres du MCA emprisonnés depuis la création du mouvement.
Dans un communiqué, l’organisation dénonce par ailleurs la présence
menaçante d’hommes armés aux alentours des terrains des coopératives
et accuse un colonel de l’armée de « prêter ses services » aux
entrepreneurs de la palme africaine.
Mi-février 2010, des groupes paramilitaires à la solde des grands
propriétaires, appuyés par l’armée et la police, attaquent les
campements du MCA et font plusieurs blessés. Les faits se produisent
alors même qu’une délégation du MCA négocie la ratification des
accords signés avant le putsch de 2009, avec l’actuel ministre de la
réforme agraire, Cesar Ham. Ce dernier, un ancien député du parti de
gauche Union démocratique (UD), s’est à la fois opposé au coup d’Etat…
et l’a légitimé en acceptant d’entrer au gouvernement de M. Lobo.
Depuis cette « position », il prétend jouer le rôle de « courroie de
transmission » des revendications populaires auprès du gouvernement.
Début mars 2010, de nouvelles négociations s’ouvrent entre le
gouvernement et les paysans du MCA alors que la région est totalement
militarisée et subit une intense répression. Quarante personnes ont
été détenues pendant le processus de dialogue, y compris le
responsable régional de l’INA, M. Coronado Ávila Mendoza. Le dirigeant
du MCA, M. Rudy Hernandez, décrit la situation : « La région du bas
Aguán a été inondée de militaires, 28 coopératives étaient en cours de
récupération (de leurs terres) et c’est pour cette raison que le 13
avril, après une réunion de plus de quinze heures avec le
gouvernement, qui ne voulait nous concéder que 6000 hectares, nous en
avons obtenu 11 000. Nous avons signé parce que nous étions sous la
menace des canons et nous ne pouvions pas mettre en danger la vie de
nos compagnons. Malgré tout, la lutte n’a pas été seulement pour cette
quantité de terres mais pour toute la terre assignée à la réforme
agraire (5). »
Le 13 avril 2010 les deux parties « s’entendent » donc : 3 000
hectares de terres affectées à la palme africaine seront titularisés
immédiatement en faveur de 28 coopératives et après évacuation
volontaire des champs occupés (par les paysans), les mêmes surfaces
(en friche) leur seront attribuées dans un délai de trois mois et à un
autre emplacement. Enfin, dans un délai d’un an, les paysans devront
recevoir 1 000 hectares cultivés en palme et 4 000 hectares non
cultivés. Le président de facto se rend lui-même sur place et se porte
garant des accords.
Mais l’apaisement qu’on aurait pu attendre à partir de la signature
des accords n’a pas lieu. Au contraire, la zone de l’Aguán connaît un
regain de tension. En effet, le magnat de la palme, M. Facussé, donne
la mesure du peu de cas qu’il fait des dispositions légales. Il
annonce qu’il fera appel des décisions prises auprès des tribunaux.
Allant au-devant de ses désirs, le 20 avril, l’armée resserre son étau
autour de la communauté Guadalupe Carney (fondée sur les terres
occupées du CREM), qui se retrouve complètement encerclée par plus
d’une centaine d’effectifs des commandos Cobras et de militaires. Le
prétexte : l’arrestation de membres du MCA. Par ailleurs, le syndicat
des travailleurs de l’INA (Sindicato de Trabajadores del INA
[SITRAINA]) de la région dénonce des menaces et des intimidations
contre ses membres.
Le 23 avril, alors que le MCA fait état de l’invasion imminente de la
communauté Guadalupe Carney par l’armée, M. Facussé annonce qu’il
refuse de négocier ne serait-ce qu’un hectare de terre. Le bras de fer
engagé avec le MCA s’étend à l’INA et à son directeur dont le
propriétaire réclame ouvertement la tête. Cette situation révèle le
double jeu du gouvernement qui, d’un côté, fait mine de jouer la
conciliation par le biais de l’INA, et de l’autre, prend prétexte du
climat de tension pour militariser la région.
Quelques jours plus tard, le 28 avril, la radio communautaire de
Zacate Grande (une communauté située dans le golfe de Fonseca, région
pacifique, à 150 km de la capitale) est attaquée et détruite par des
hommes armés à la solde de M. Facussé.
Le 25 mai, le quotidien La Prensa avait publié un entretien avec M.
Facussé dans lequel celui-ci affirmait que « le problème de l’Aguán
détruirait l’économie », laissant ainsi entendre que le « climat
d’insurrection » dans la région faisait fuir les investisseurs
étrangers (6). En juin 2010, l’annonce du licenciement de 500 employés
des entreprises de Miguel Facussé dans la région constitue une
manœuvre de plus pour attiser les dissensions entre les paysans.
Le 21 juin, une opération conjointe de membres des bataillons Cobras
et des vigiles de l’entreprise de sécurité Orión (recrutée par M.
Facussé), menée dans le but d’arrêter deux membres de la coopérative
La Aurora, provoque la mort d’un jeune de 17 ans. L’autopsie révèle
douze impacts de balles (7). Le communiqué du MCA souligne que la
finca La Aurora avait été assignée à la coopérative par l’INA.
Le 17 août, trois membres du MCA (dont un adolescent de 14 ans) sont
assassinés. Quelques jours plus tard, un affrontement a lieu à Zacate
Grande entre les occupants des terres récupérées et les habitants de
villages voisins, à qui M. Facussé a remis des « titres de propriété »
et fait miroiter la construction d’un collège pour leurs enfants.
La liste des intimidations et arrestations arbitraires s’allonge tous
les jours mais les institutions financières internationales ne
sourcillent pas. Dans une lettre (8) adressée le 17 novembre 2010 au
président de la Banque mondiale, M. Robert Zoellick, l’ONG canadienne
Rights Action accuse celle-ci d’être coresponsable des exactions
commises dans l’Aguán. Dénonciation fondée sur le fait que le 5
novembre 2009, Dinant avait reçu de la Corporation financière
internationale (IFC) – chargée de l’attention au secteur privé au sein
de la Banque mondiale – le prêt n° 27.250, à hauteur de 30 millions de
dollars.
Les rumeurs, régulièrement relayées par la presse, faisant état de
l’existence de groupes armés au sein du MCA se sont renforcées ces
derniers jours. Certains médias croyant même savoir que les bases
d’entrainement de la guérilla se trouveraient au Nicaragua (9)… Ironie
du sort : les terres originalement occupées par le MCA, avaient,
elles, bel et bien servi de base pour les troupes de la Contra, dont
l’objectif était précisément d’agresser le Nicaragua voisin…
Le massacre du 15 novembre a donné un nouveau prétexte à l’envoi de
l’armée dans la région. Mais contre toute attente, au lieu de s’en
prendre aux milices armées des entrepreneurs de la palme, ce sont les
bureaux de l’INA – ceux-là même où sont entreposés les dossiers de
régularisation des terres du MCA – qui ont été militarisés.
Le 6 décembre les paysans ont repris les blocages de route pour exiger
que justice soit faite. Le 7 décembre, un communiqué du MUCA avertit
que la communauté Guadalupe Carney est de nouveau encerclée par l’armée.
Le 15 décembre, 600 militaires ont pris position sur les collines
alentours et des hélicoptères survolent la zone.
Note :
(1) Giorgio Trucchi, « Masacre y barbarie en el Bajo Aguán »,
Secrétariat régional latino-américain (Rel-UITA), 16 novembre 2010.
(2) « Ley para la Modernización y Desarrollo del Sector Agrícola
(LMDSA) », Institut agraire national (INA), 5 mars 1992.
(3) Aujourd’hui Front national de résistance populaire (FNRP).
(4) Qui se présente également sous le sigle MUCA (Mouvement uni des
paysans de l’Aguán).
(5) German Reyes, « Incumplimiento del gobierno caldea los animos en
el Aguán », Revistazo, 18 novembre 2010.
(6) « Problema del Aguán destruiría la economía », La Prensa, 25 mai 2010.
(7) Giorgio Trucchi, « Asesinato salvaje de joven del MUCA »,
Rel-UITA, 22 juin 2010.
(8) « Letter to the World Bank », Rights Action, 17 novembre 2010.
(9) « Hondureños estarían entrenándose en Nicaragua para
desestabilizar orden legal y democracia », El Proceso, 24 novembre 2010.
Le 15 novembre 2010, la région du bas Aguán au Honduras a été le
théâtre d’un massacre de plus, perpétré contre cinq paysans membres de
l’organisation paysanne Movimiento Campesino del Aguán (MCA). Les
faits se sont produits à l’aube du 15 novembre, lorsque deux cents
gardes armés à la solde de M. Miguel Facussé Barjum (1), le magnat
hondurien de la palme africaine, ont tiré avec des armes de gros
calibre sur un groupe de paysans qui venait présenter les papiers les
accréditant comme légitimes propriétaires de la finca (propriété) El
Tumbador (municipalité de Trujillo).
Ces assassinats constituent un nouvel épisode dans le conflit agraire
qui oppose de longue date le MCA aux grands entrepreneurs et
propriétaires terriens de la région : M. Facussé Barjum – président de
la société Dinant et oncle de l’ex-président libéral Carlos Flores
Facussé (1998-2002) –, M. René Morales Carazo – industriel et frère du
vice-président de la République du Nicaragua, M. Jaime Morales Carazo
–, M. Reynaldo Canales – lui aussi grand patron –, et M. Oscar Najerá
– député du parti Libéral (droite).
A la différence d’autres pays d’Amérique latine, où la culture de la
palme africaine connaît un essor très récent – lié à l’élaboration des
agro-carburants –, celle-ci est présente au Honduras depuis les années
1970. A cette époque, des réformes agraires ont en effet été promues –
souvent par des gouvernements militaires, comme au Pérou et au
Honduras – pour réduire la pression sur les latifundia (grandes
propriétés) et contrôler le mouvement paysan. La culture de la palme
constitue donc un enjeu économique important, qui explique d’une part
la force et la capacité des coopératives paysannes, et d’autre part la
convoitise des grands propriétaires et entrepreneurs de l’industrie de
transformation du précieux végétal.
Au début des années 1990, sous la présidence de M. Leonardo Callejas
(Parti national [PN], droite), se met en place la loi de modernisation
et développement du secteur agricole (2), qui modifie celle de 1962
sur la réforme agraire. Suivant la même tendance que dans le reste des
pays d’Amérique latine, la nouvelle loi privilégie la « sécurisation
de la propriété » à travers la titularisation individuelle des terres
et l’incursion croissante du secteur privé dans le financement de la
production agricole. Ce procédé – développé et promu par la Banque
mondiale – est également connu sous l’appellation trompeuse de «
réforme agraire assistée par le marché ».
La majorité des organisations paysannes du Honduras s’accorde sur le
fait que cette loi marque le début d’une accélération de la
réappropriation privée des terres anciennement attribuées à des
coopératives dans le cadre de la réforme agraire des années 1960.
Considérant cet accaparement comme illégal, les paysans partent à la
reconquête des terres. C’est dans ce contexte que le MCA voit le jour,
début mai 2000, en occupant les terres du Centre régional
d’entraînement militaire (CREM), soit plusieurs milliers d’hectares
utilisés pendant les années 1980 par les instructeurs de l’armée des
Etats-Unis pour former les combattants de la Contra nicaraguayenne.
Pour le MCA, l’objectif consiste à faire pression pour l’application
des dispositions légales établissant l’usage social de la terre et
limitant la concentration agraire.
Dans les premiers temps, la tension entre les paysans et les
propriétaires terriens est si forte que le président de la République
(l’homme d’affaires Ricardo Maduro, PN) n’a d’autre choix que
d’intervenir en personne. Le 12 octobre 2000, 1124 hectares sont
titularisés au nom des coopératives du MCA, cependant que l’Institut
national agraire (INA) entreprend des démarches pour annuler les
titres de propriété indûment attribués aux grands propriétaires.
Toutefois la victoire est de courte durée et, pendant des années, la
situation reste explosive et le harcèlement constant.
Le 12 juin 2009, un accord est pourtant signé entre le président
hondurien, M. Manuel Zelaya, et les organisations paysannes de
l’Aguán. Il établit qu’aucune expulsion ne pourra se réaliser avant
que la légalité sur les titres de propriété et les ventes de terres
n’ait été établie par les autorités compétentes. Mais le coup d’Etat
du 28 juin 2009 met fin à cette courte trêve. Le MCA, qui, comme de
nombreuses organisations populaires, a rejoint le Front national de
résistance contre le golpe (3), se retrouve une fois de plus dans la
ligne de mire.
Les attaques reprennent avec plus de vigueur au début de l’année 2010,
avec l’entrée en fonction du gouvernement de facto de M. Porfirio
Lobo, parvenu au pouvoir lors des élections organisées à l’ombre du
putsch militaire, en novembre 2009. Face à la paralysie du processus
de titularisation, le mouvement (4), qui recense désormais plus de 3
500 familles organisées en centaines de coopératives, a en effet
décidé de reprendre, le 9 décembre 2009, les occupations de terres.
Le 8 janvier, une première expulsion violente des terres nouvellement
occupées a lieu : 27 personnes, dont dix femmes, sont détenues. Le 13
janvier, trois dirigeants du MCA sont arrêtés, ce qui porte à 18 le
nombre de membres du MCA emprisonnés depuis la création du mouvement.
Dans un communiqué, l’organisation dénonce par ailleurs la présence
menaçante d’hommes armés aux alentours des terrains des coopératives
et accuse un colonel de l’armée de « prêter ses services » aux
entrepreneurs de la palme africaine.
Mi-février 2010, des groupes paramilitaires à la solde des grands
propriétaires, appuyés par l’armée et la police, attaquent les
campements du MCA et font plusieurs blessés. Les faits se produisent
alors même qu’une délégation du MCA négocie la ratification des
accords signés avant le putsch de 2009, avec l’actuel ministre de la
réforme agraire, Cesar Ham. Ce dernier, un ancien député du parti de
gauche Union démocratique (UD), s’est à la fois opposé au coup d’Etat…
et l’a légitimé en acceptant d’entrer au gouvernement de M. Lobo.
Depuis cette « position », il prétend jouer le rôle de « courroie de
transmission » des revendications populaires auprès du gouvernement.
Début mars 2010, de nouvelles négociations s’ouvrent entre le
gouvernement et les paysans du MCA alors que la région est totalement
militarisée et subit une intense répression. Quarante personnes ont
été détenues pendant le processus de dialogue, y compris le
responsable régional de l’INA, M. Coronado Ávila Mendoza. Le dirigeant
du MCA, M. Rudy Hernandez, décrit la situation : « La région du bas
Aguán a été inondée de militaires, 28 coopératives étaient en cours de
récupération (de leurs terres) et c’est pour cette raison que le 13
avril, après une réunion de plus de quinze heures avec le
gouvernement, qui ne voulait nous concéder que 6000 hectares, nous en
avons obtenu 11 000. Nous avons signé parce que nous étions sous la
menace des canons et nous ne pouvions pas mettre en danger la vie de
nos compagnons. Malgré tout, la lutte n’a pas été seulement pour cette
quantité de terres mais pour toute la terre assignée à la réforme
agraire (5). »
Le 13 avril 2010 les deux parties « s’entendent » donc : 3 000
hectares de terres affectées à la palme africaine seront titularisés
immédiatement en faveur de 28 coopératives et après évacuation
volontaire des champs occupés (par les paysans), les mêmes surfaces
(en friche) leur seront attribuées dans un délai de trois mois et à un
autre emplacement. Enfin, dans un délai d’un an, les paysans devront
recevoir 1 000 hectares cultivés en palme et 4 000 hectares non
cultivés. Le président de facto se rend lui-même sur place et se porte
garant des accords.
Mais l’apaisement qu’on aurait pu attendre à partir de la signature
des accords n’a pas lieu. Au contraire, la zone de l’Aguán connaît un
regain de tension. En effet, le magnat de la palme, M. Facussé, donne
la mesure du peu de cas qu’il fait des dispositions légales. Il
annonce qu’il fera appel des décisions prises auprès des tribunaux.
Allant au-devant de ses désirs, le 20 avril, l’armée resserre son étau
autour de la communauté Guadalupe Carney (fondée sur les terres
occupées du CREM), qui se retrouve complètement encerclée par plus
d’une centaine d’effectifs des commandos Cobras et de militaires. Le
prétexte : l’arrestation de membres du MCA. Par ailleurs, le syndicat
des travailleurs de l’INA (Sindicato de Trabajadores del INA
[SITRAINA]) de la région dénonce des menaces et des intimidations
contre ses membres.
Le 23 avril, alors que le MCA fait état de l’invasion imminente de la
communauté Guadalupe Carney par l’armée, M. Facussé annonce qu’il
refuse de négocier ne serait-ce qu’un hectare de terre. Le bras de fer
engagé avec le MCA s’étend à l’INA et à son directeur dont le
propriétaire réclame ouvertement la tête. Cette situation révèle le
double jeu du gouvernement qui, d’un côté, fait mine de jouer la
conciliation par le biais de l’INA, et de l’autre, prend prétexte du
climat de tension pour militariser la région.
Quelques jours plus tard, le 28 avril, la radio communautaire de
Zacate Grande (une communauté située dans le golfe de Fonseca, région
pacifique, à 150 km de la capitale) est attaquée et détruite par des
hommes armés à la solde de M. Facussé.
Le 25 mai, le quotidien La Prensa avait publié un entretien avec M.
Facussé dans lequel celui-ci affirmait que « le problème de l’Aguán
détruirait l’économie », laissant ainsi entendre que le « climat
d’insurrection » dans la région faisait fuir les investisseurs
étrangers (6). En juin 2010, l’annonce du licenciement de 500 employés
des entreprises de Miguel Facussé dans la région constitue une
manœuvre de plus pour attiser les dissensions entre les paysans.
Le 21 juin, une opération conjointe de membres des bataillons Cobras
et des vigiles de l’entreprise de sécurité Orión (recrutée par M.
Facussé), menée dans le but d’arrêter deux membres de la coopérative
La Aurora, provoque la mort d’un jeune de 17 ans. L’autopsie révèle
douze impacts de balles (7). Le communiqué du MCA souligne que la
finca La Aurora avait été assignée à la coopérative par l’INA.
Le 17 août, trois membres du MCA (dont un adolescent de 14 ans) sont
assassinés. Quelques jours plus tard, un affrontement a lieu à Zacate
Grande entre les occupants des terres récupérées et les habitants de
villages voisins, à qui M. Facussé a remis des « titres de propriété »
et fait miroiter la construction d’un collège pour leurs enfants.
La liste des intimidations et arrestations arbitraires s’allonge tous
les jours mais les institutions financières internationales ne
sourcillent pas. Dans une lettre (8) adressée le 17 novembre 2010 au
président de la Banque mondiale, M. Robert Zoellick, l’ONG canadienne
Rights Action accuse celle-ci d’être coresponsable des exactions
commises dans l’Aguán. Dénonciation fondée sur le fait que le 5
novembre 2009, Dinant avait reçu de la Corporation financière
internationale (IFC) – chargée de l’attention au secteur privé au sein
de la Banque mondiale – le prêt n° 27.250, à hauteur de 30 millions de
dollars.
Les rumeurs, régulièrement relayées par la presse, faisant état de
l’existence de groupes armés au sein du MCA se sont renforcées ces
derniers jours. Certains médias croyant même savoir que les bases
d’entrainement de la guérilla se trouveraient au Nicaragua (9)… Ironie
du sort : les terres originalement occupées par le MCA, avaient,
elles, bel et bien servi de base pour les troupes de la Contra, dont
l’objectif était précisément d’agresser le Nicaragua voisin…
Le massacre du 15 novembre a donné un nouveau prétexte à l’envoi de
l’armée dans la région. Mais contre toute attente, au lieu de s’en
prendre aux milices armées des entrepreneurs de la palme, ce sont les
bureaux de l’INA – ceux-là même où sont entreposés les dossiers de
régularisation des terres du MCA – qui ont été militarisés.
Le 6 décembre les paysans ont repris les blocages de route pour exiger
que justice soit faite. Le 7 décembre, un communiqué du MUCA avertit
que la communauté Guadalupe Carney est de nouveau encerclée par l’armée.
Le 15 décembre, 600 militaires ont pris position sur les collines
alentours et des hélicoptères survolent la zone.
Note :
(1) Giorgio Trucchi, « Masacre y barbarie en el Bajo Aguán »,
Secrétariat régional latino-américain (Rel-UITA), 16 novembre 2010.
(2) « Ley para la Modernización y Desarrollo del Sector Agrícola
(LMDSA) », Institut agraire national (INA), 5 mars 1992.
(3) Aujourd’hui Front national de résistance populaire (FNRP).
(4) Qui se présente également sous le sigle MUCA (Mouvement uni des
paysans de l’Aguán).
(5) German Reyes, « Incumplimiento del gobierno caldea los animos en
el Aguán », Revistazo, 18 novembre 2010.
(6) « Problema del Aguán destruiría la economía », La Prensa, 25 mai 2010.
(7) Giorgio Trucchi, « Asesinato salvaje de joven del MUCA »,
Rel-UITA, 22 juin 2010.
(8) « Letter to the World Bank », Rights Action, 17 novembre 2010.
(9) « Hondureños estarían entrenándose en Nicaragua para
desestabilizar orden legal y democracia », El Proceso, 24 novembre 2010.
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